C'est un
coin fiché entre la frontière tchèque et polonaise de
l'ancienne Allemagne de l'Est. S'étendant sur environ 7000 km2, la
Lusace est baignée dans toute son étendue par la Spree. Au
nord, avant de traverser Berlin, cet affluent de la Havel qui verse
elle-même dans l'Elbe, arrose un territoire envoûtant. Domaine de
la forêt, parsemé de marécages, de canaux, de petits
lacs, voici le Spreewald. L'étymologie de Lusace, "la
flaque", "le trou d'eau", correspond bien à la
réalité physique de la région. A l'image d'une grande
partie de l'Allemagne du Nord, le reste du pays est formé de collines,
cultivées ou boisées. Au centre, autour d'Hoyerswerda et du
combinat de Schwarze Pumpe, la lande et les bois ont fait place aux terrils
et à un paysage industriel liés à l'exploitation d'un
important gisement de lignite. Un peu plus élevé, le Lausitzer
Bergland borne la Lusace vers le sud.
A cheval
sur deux Lander, la Lusace, Luzica, en sorabe, Lausitz, en allemand, se
partage entre deux régions historiques: la Haute-Lusace, au sud, dont
les centres principaux sont Budysin/Bautzen et Wojerecy/Hoyerswerda, est
rattachée à la Saxe; la Basse-Lusace, au nord, autour de
Chosebuz/Cottbus et Grodk/Spremberg, appartient au Brandebourg. On compte
cinq districts, en tout ou en partie sorabes, dans chacun de ces deux Lander.
Au delà de la Nysa/Neisse, aux environs de Barsc/Forst, le pays sorabe
déborde également un peu la frontière germano-polonaise.
Les
Sorabes sont le dernier vestige de l'ancienne population slave de I'Allemagne
du Nord. Des premiers siècles avant notre ère jusqu'au Xe
siècle, les Obodrites, les Liutitzi - réputés pour leur
férocité -, les Lusici, les Sorbes et quelques autres peuplades
occupent une vaste région limitée par l'Elbe, au nord, la
Fulda, au sud. Les Germains les dénomment collectivement Wenden d'après une terme
celtique signifiant "blond". Pour contenir la poussée slave,
Charlemagne fait construire le limes sorbicus. A partir du Xe siècle, germanisés et convertis
de force au christianisme lorsqu'ils ne sont pas tout bonnement
massacrés par les Francs et les Saxons, les Slaves/Wendes
disparaissent progressivement. Leur assimilation s'accélére
avec le Drang nach Osten, la marche vers l'Est des Germains. Parfois appelés
par les seigneurs locaux, des colons s'installent en masse au milieu des
peuples slaves, apportant leurs techniques agricoles et industrielles, leur
droit, leur langue.
A la fin
du Moyen-Age, le peuplement se stabilise en Lusace. C'est à cette
époque que Lusiciens et Sorbes fusionnent formant ainsi l'ethnie
sorabe. Les uns donnent leur nom au pays, Lusica, les autres, à ses
habitants, les Serb,
Sorabes ou Serbes de Lusace. Mélangés aux paysans saxons mais
restés très majoritaires, les Sorabes ne forment plus qu'un
ilôt, entouré de régions germanophones et
détaché du reste du monde slave. Cet ilôt résiste,
s'adapte et perdure ainsi jusqu'à nos jours.
Mais
depuis 1850, avec les débuts de l'industrialisation, ensuite avec les
régimes nazi et communiste, le peuple sorabe est profondément
affecté par l'assimilation. L'exploitation du lignite entraîne
l'afflux de milliers de Saxons et Thuringeois de langue allemande. En un
siècle, le nombre de sorabophones est réduit de plus de la
moitié. Actuellement, ils ne représentent plus que 15% des
habitants de la Lusace.
Bien que
leurs voisins allemands les distinguent en Sorben/Serbes de Saxe et
WendenlWendes du Brandebourg, la conscience nationale reste vive chez les
Sorabes qui ont maintenu l'usage de leur langue ancestrale. Elle est par
contre plus limitée chez beaucoup de ceux qui ont changé
d'appartenance linguistique et culturelle. La division traditionnelle entre
catholiques et protestants luthériens ne semble pas avoir trop nui au
maintien du sentiment national. Cependant, les protestants ont
délaissé massivement l'idiome local depuis un siècle.
Désormais, les 150 000 Sorabes sont bien minoritaires dans leur pays
où ils constituent seulement 40% environ de la population totale.
On compte
aujourd'hui à peu près 67 000 locuteurs du sorabe, les 2/3 en
Haute-Lusace, le tiers restant en Basse-Lusace. En 1926, 129 000 personnes se
déclaraient de langue sorabe, dont 71 400 au Brandebourg. Et en 1956,
ils étaient encore 80 000. Je ne possède aucune indication sur
la pratique de cette langue chez les ressortissants polonais d'ethnie sorabe.
Leur nombre ne saurait excéder quelques centaines d'usagers tout au
plus.
Il y a
moins d'un siècle, le sorabe était comme pris en sandwich entre
les régions proprement de langue allemande, au sud, et celles de
langue néerlandaise le bas-allemand -, au nord. En 1945,
I'avancée de l'Armée rouge soviétique et les
déplacements massifs de populations qui s'ensuivirent
recréèrent le contact lointainement perdu avec les soeurs
slaves de l'Ouest.
Le plus
occidental des idiomes slaves est proche parent du polonais et du
tchécoslovaque. En fonction de leur situation géographique, les
deux grands dialectes, bas et haut-sorabe, se rapprochent de l'une ou l'autre
de ces deux langues. Ainsi, dira-t-on, par exemple, pour la montagne, gora, comme en polonais, si l'on
utilise le parler de Chosebuz, hora, comme en tchécoslovaque, si l'on habite Budysin.
Quelques autres critères phonétiques distinguent les deux
dialectes. Toutefois, il est admis qu'autour de Wojerecy/Hoyerswerda et de
Bela Woda/Weisswasser, se parlent des variantes intermédiaires.
A partir
de la Réforme, au XVIe siècle, bas et haut-sorabe ont servi de
base à la codification de la langue par le biais de textes religieux.
Il en est résulté deux standards littéraires qui restent
en usage dans les média de chacun des Lander concernés. Les
premiers textes imprimés datent de 1574. Tour à tour, chacun
des deux dialectes impose sa suprématie culturelle, le haut-sorabe,
aux XVIe et XVIIe siècles, le bas, au XVIIIe. La renaissance
littéraire du XIXe siècle est contrecarrée par l'intense
germanisation de la société sorabe qui culmine avec le
régime næi. Dans les années 50, le renouveau moderne de
la langue s'affirme dans le cadre de la RDA communiste. L'orthographe est
perfectionnée; des manuels scolaires, des dictionnaires, un atlas
dialectal sont publiés. De nombreuses traductions de la
littérature universelle ainsi que des créations propres voient
le jour. Mais l'industrialisation à outrance, au coeur même de
la Lusace, vanifie ces progrès car la pratique de la langue y
connaît un déclin rapide.
Pour la
période actuelle, j'emprunte à "L'Europe des ethnies"
de Guy Héraud les éléments suivants. Partout où
on le parle, le sorabe est langue co-officielle dans l'administration et la
justice. Une participation minimale du groupe ethnique à la fonction
publique est assurée. Le régime scolaire, réglé
par une loi saxonne du 3 juillet 1991, et une loi brandebourgeoise de la
même année, fait du sorabe la langue véhiculaire en
plusieurs matières (écoles A) ou une langue enseignée
(écoles B). Le sorabe a droit de cité dans de nombreux
Iycées et écoles techniques.
Il est
bien difficile d'admettre que la langue locale jouit d'une place de choix
dans les média. Mis à part sa présence dans quelques
revues de caractère confessionnel, elle ne bénéficie que
d'une seule émission de radio par mois dans le Brandebourg. Par
contre, le sorabe s'affiche dans la signalétique routière sur
toute l'étendue de la région slavophone. De plus, dans les
villes sorabes, de nombreux édifices portent des inscriptions
bilingues. Mais l'usage ordinaire des parlers autochtones reste circonscrit
à quelques zones rurales à dominante catholique de
Haute-Lusace. Dans la même région, les protestants ont
massivement abandonné l'usage du parler et le port des costumes
traditionnels. L'Eglise luthérienne maintient toutefois une
présence symbolique de la langue dans la liturgie. Le
Théâtre national sorabe est par ailleurs très populaire
et commence à s'exporter; on l'a vu notamment, à Nîmes,
en Occitanie, à l'automne dernier.
Aussi loin
que l'on remonte dans le temps, les Sorabes n'ont pas eu d'Etat en propre. Un
seul prince suprême est signalé au début du IXe
siècle. Il n'y eût point d'union des tribus comme chez les
voisins polonais ou tchèques. Les Serb construisirent cependant de
nombreux bourgs fortifiés dont les plus importants furent Misen,
aujourd'hui Meissen, en Saxe, et Budysin. Situé aux confins du Saint
Empire germanique, le pays sorabe constitue pendant deux siècles le
plus gros des marches de Lusace et de Misnie (Meissen). En 1018, à la
paix de Bautzen, il tombe momentanément dans la mouvance polonaise
sous le règne de Boleslav Chrobry.
Vassalisé
par les princes allemands, le territoire serbe en conaît les
vicissitudes. Au début du XVe siècle, les Sorabes subissent
notamment les campagnes menées par l'armée populaire hussite de
Bohême contre les Allemands. Au cours de la guerre de Trente Ans, la
Lusace, devenue luthérienne mais qui appartient alors aux Habsbourgs
d'Autriche, catholiques, est conquise par le prince électeur de Saxe,
allié de ces derniers. En 1623, cette province est alors donnée
en gage à la Saxe, puis incorporée à celle-ci, en 1648,
aux traités de Westphalie.
Au
siècle suivant, on assiste à la montée en puissance de
la Prusse. La Lusace va alors se voir progressivement absorbée par le
nouvel "homme fort" de l'Europe. En 1813, les Allemands
mènent une guerre de libération contre les troupes
napoléoniennes.
Budysin
est le théâtre d'une grande bataille entre Français et
Prussiens, gagnée en vain par l'Empereur. Le mois
précédent, la Prusse s'est annexée la Saxe,
alliée de Napoléon, et avec elle, la Lusace. Deux ans
après, le traité de Vienne partage le pays entre la Prusse et
la Saxe qui regagne son indépendance mais se trouve amoindrie
territorialement. C'est donc en 1815 que sont artificiellement
dissociées la Haute et la Basse-Lusace. Budysin est au XlXe
siècle, le foyer de la renaissance nationale. En 1862, se fonde le
Théatre wende. A Wojerecy, une association paysanne sorabe se
crée en 1885. En 1912, dans la même ville, patrie du poète
national Hendrij Zejler, est constituée la Domowina, I'Union des Sorabes de Lusace, une fédération
d'associations culturelles.
A la paix
de Versailles, les Tchèques tentent en vain de se rattacher les
Sorabes. La République de Weimar se montre libérale; ellepermet
l'enseignement du sorabe à l'école primaire et au Iycée
de Budysin. De libres relations avec la Tchécoslovaquie permettent aux
associations régionalistes de maintenir la personnalité de la
minorité slave. Brutal changement en 1938, les nazis interdisent
l'usage du sorabe. On déporte les élites, les prêtres,
les instituteurs. Mais le projet, conçu vers 1941, de
déportation massive en Alsace, ne voit pas le jour; les Sorabes
auraient été remplacés par des Alsaciens.
Dès
1945, les Soviétiques tentent, aidés de conseillers
tchèques, de réveiller le sentiment national sorabe. On
favorise les voyages en Tchécoslovaquie et en Pologne. On ressuscite
la Domowina qui compte
rapidement près de 100 000 membres. En janvier 1946, le Conseil
national sorabe réclame auprès de l'ONU, la création
d'un Etat indépendant. Un an après, c'est l'annexion à
la Tchécoslovaquie qu'il revendique. Finalement, un plébiscite
tranche pour le maintien dans l'Allemagne. La permanence des sentiments
religieux et l'adhésion massive de la population au parti
démocrate-chrétien - manifeste, avec 75% des votes, aux
élections aux Lander de 1946 - freine la politique nationalitaire
léniniste. Celle-ci est d'ailleurs, très mal vécue par
les communistes allemands du Brandebourg. A partir de 1948, un traitement
différencié est alors appliqué, assez favorable en
HauteLusace, beaucoup plus restrictif dans la région de Chosebuz. Au
décret saxon portant sur "la sauvegarde des droits de la
population sorabe" répond, deux ans après seulement, le
décret du Brandebourg sur "la promotion et le
développement pour l'encouragement de la culture sorabe". En
Haute-Lusace, au bilinguisme institutionnel, au maintien des traditions
culturelles, s'ajoute le droit d'arborer l'emblème national. A
Chosebuz et dans son arrondissement, I'enseignement du sorabe demeure
facultatif.
En 1989,
I'effondrement du système soviétique, symbolisé par la
chute du Mur de Berlin, est suivi par l'unification des deux Allemagnes. Les
droits nationaux du peuple sorabe sont maintenus, son statut de
minorité territoriale sanctionné par la nouvelle Constitution.
Les lois citées plus haut au chapitre de la langue égalisent le
statut du sorabe dans les deux régions historiques. En 1991, le
gouvernement de Bonn institue la Fondation pour le peuple sorabe
établie à Budysin. Financé par l'Etat
fédéral et les Lander intéressés, le budget de
celle-ci ~41 M. de DM) sert à l'entretien des différentes
institutions culturelles, le Serbski muzej (Musée sorabe), le
Théâtre national, notamment.
Les
Allemands ignorent généralement llexistence de la Lusace et des
Sorabes. Lorsqu'ils les connaissent, c'est souvent à partir de
clichés. Le premier, bien sympathique, ce sont les oeufs
colorés, fabriqués et vendus à Pâques par les
Lusaciens. Le second, plus repoussant, ce sont les bandes de skinheads de
Cottbus et Hoyerswerda.
La Lusace,
basse et moyenne, a été laissée exsangue par
l'échec du régime communiste. L'industrialisation
forcenée a ravagé le paysage et les esprits. La brutale
immersion dans une société libérale sans scrupules a
rendu obsolètes le lignite et les industries lusaciennes. Le
chômage -17% dans l'arrondissement de Cottbus - et le
découragement sont devenus le lot de nombreux ouvriers, de nombreux
jeunes de la région. Le phénomène skinhead s'est
développpé sur le fertile terreau de la
déshérence. Le mal-être trouve son exutoire dans les
nombreux actes criminels contre les étrangers de toutes origines qui
habitent la province.
Un miracle
s'est produit avec la montée en Bundesliga, le championnat
fédéral de football, du petit club "Energie
Cottbus", multiethnique et multicolore. Ses
succès ont servi à canaliser positivement le trop plein
d'énergie d'une jeunesse désoeuvrée. Ils ont rendu sa
fierté à toute une région qui a repris confiance en
ellemême.
Que
pèsent 0,2% de Sorabes dans une Allemagne de 80M. d'habitants ? Rien,
et c'est bien ce qui inquiète ce petit peuple. Ce reliquat de l'ancien
peuplement slave de l'antique Germanie mériterait une protection plus
importante. Ses revendications actuelles portent sur l'établissement
d'un arrondissement (Kreis ) autonome. C'est le moins que la Grande Allemagne
puisse faire à défaut de lui octroyer un Land à part
entière. Cet arrondissement unirait Basse et HauteLusace; les
institutions culturelles pourraient demeurer à Budysin, capitale
historique du Sud, et à Chosebuz, capitale du Nord; la ville moderne
de Wojerecy, idéalement située à mi-chemin, pourrait en être
le centre administratif et le lieu de réintroduction pilote de la
langue autochtone.
Un
patrimoine touristique de grand intérêt, des traditions
spécifiques et charmantes, la proximité de la Pologne et de la
République tchèque bientôt "européennes"
sont des atouts non négligeables. Les Sorabes sont une petite nation
attachée à sa terre, à sa langue et à son
particularisme. Dans une Europe qui bouge, celle-ci a aujourd'hui une chance
exceptionnelle de pouvoir être reconnue et de rompre avec la spirale
infernale de l'assimilation.
enue d'Orient, la foi des chrétiens
s'était répandue dans tout l'empire romain que minait la
perspective du déclin. Dès qu'au sein de celui-ci,
l'équilibre des forces fut renversé en sa faveur, l'Église
qui se structurait progressivement n'eut de cesse d'accroître son
pouvoir spirituel, puis temporel. En son propre sein, la foi
chrétienne se livrait à une lutte intestine acharnée
entre ses diverses obédiences dont il ne faut pas minimiser l'impact
historique ainsi qu'en atteste l'abolition de l'arianisme au profit du
catholicisme, permettant l'émergence de la puissance franque
fraîchement convertie aux dépens de tous les autres royaumes
romano-germaniques.
r, pour se
maintenir là où l'empire avait disparu, le pouvoir des
souverains germaniques eut à s'appuyer sur l'élite issue de la
structure romaine déjà convertie au christianisme. Le
développement de la puissance de l'Église n'a donc nullement
été ralenti par l'instauration des royaumes romano-germaniques
et tant par phénomène d'intégration à la
population de base que par opportunisme politique des chefs, la conversion
s'étendit des peuples inclus dans les frontières de l'empire
à ceux qui autrefois vivaient au-delà du limes et qui
s'étaient déplacés en son sein. Le haut Moyen Âge
était un magma issu de l'Antiquité qui allait se figer en des
États qui perdureraient des siècles durant, engendrant une
différenciation progressive des peuples pour aboutir à un
concept inconnu alors, celui de l'État-nation.
out au long de leur christianisation, les Germains
firent preuve d'une tolérance religieuse marquée, pour autant
que le prosélytisme des prêtres ne menaçât pas
les fondements de leur mythologie et de leur civilisation. Ainsi, quand des
missionnaires venaient les entretenir du Christ, les Germains
estimèrent qu'il s'agissait là d'une entité similaire
à leurs propres divinités, si bien qu'ils
l'intégrèrent progressivement à leur panthéon,
à côté de tous les dieux traditionnels. Cette attitude
n'est pas sans rappeler dans un contexte plus martial l'habitude des
Romains d'intégrer à leur panthéon l'ensemble des divinités
des provinces qu'ils annexaient à l'empire, dans ce cas en signe
d'appropriation et de possession. La brève coexistence religieuse
explique les quelques éléments chrétiens qui furent
incorporés dans les mythes germaniques, mais le paganisme
polythéiste était condamné par un christianisme
théoriquement monothéiste ne pouvant admettre des
écarts si importants vis-à-vis du dogme.
epoussant sans cesse les limites de l'espace
chrétien au moyen de la politique expansionniste du royaume des
Francs et de ses satellites, l'Église mena de vastes campagnes
d'évangélisation qui étaient relayées avec une
sinistre efficacité par la force armée. Ainsi, quand
Charlemagne et ses troupes envahissaient des territoires non
chrétiens, ils détruisaient les lieux de culte, abattant
entre autres des bois entiers qui représentaient pour les Germains
autant d'endroits où s'exprimait le mieux le lien entre le concret
et l'immatériel.
a campagne contre les Saxons païens débuta
par l'épisode de la destruction en 772 du majestueux tronc de
l'Irminsul, symbolisation de l'arbre servant d'axe et de colonne à
l'univers. Dès lors, nombre de Saxons de la noblesse firent
allégeance aux Francs bien que Widukind, l'un des ducs,
c'est-à-dire un chef de guerre dirigeant une tribu,
décidât de poursuivre la lutte jusqu'à ce qu'il
fût contraint de déposer les armes à son tour en 785.
Entretemps, il fut exigé de tous les Saxons qu'ils abjurassent leur
foi dans les Dieux et qu'ils se convertissent au christianisme, ce qui
eût à la fois été le symbole de la puissance
spirituelle de Rome et une garantie de soumission politique pour les chefs
francs. Comme nombre de ceux que l'on considérait avec mépris
comme des païens idolâtrant un panthéon insoutenable aux
yeux du pape refusèrent de trahir leur héritage culturel, ils
furent exécutés, comme lors de la tristement
célèbre Journée de Verden durant laquelle Charlemagne
fit décapiter quatre mille cinq cents païens, hommes, femmes et
enfants qui refusaient le baptême.
eût-il
même dix mille épées qu'elles n'eussent pu trancher cent
mille têtes. Cependant, durant tout le Moyen Âge, les religions
dites "païennes", mot qui conserve dans la bouche de beaucoup
une exécrable connotation péjorative, n'eurent d'autre
possibilité que de reculer face à l'application et à
l'acharnement dont firent preuve leurs ennemis afin de les annihiler. La
christianisation de l'Europe jusqu'à l'Elbe s'achevait donc.
vec la division de l'empire carolingien et la
période incertaine qui entraîna le rattachement de la
Lotharingie au pays des Francs de l'Est, c'est à un
phénomène essentiel de l'histoire de l'Europe que l'on est
confronté : l'apparition de deux nations en gestation, la France et
l'Allemagne à laquelle échut la dignité
impériale, héritière de la tradition romaine. Si les
relations entre ce qui allait devenir en 962 l'empire germanique et la
papauté furent par la suite très complexes et
troublées, le thème de la religion permettait de retrouver un
sujet d'entente, ce qui se fit aux dépens cette fois des Slaves qui,
après les invasions barbares avaient occupé les terres
orientales délaissées par les Germains. Ainsi commença
le Drang nach Osten. Une
fois encore, il s'agissait pour le pouvoir temporel d'étendre ses
domaines vers des terres susceptibles d'être colonisées tandis
que les autorités spirituelles y voyaient le moyen de poursuivre
l'évangélisation, la Bible dans une main et
l'épée dans l'autre. Plusieurs croisades furent
menées, contre les Obodrites, les Wilzes, les Wendes, les Borusses
-dont est issu le nom de la Prusse- et jusque dans les pays baltes. Chez
les Scandinaves, la christianisation ne s'accompagna pas des mêmes
objectifs territoriaux, d'où une apparente transition moins
violente, exception faite du Danemark.
ntre l'expansion carolingienne et la conversion des
Scandinaves d'Islande ne s'écoulèrent que deux siècles
qui suffirent à précipiter les dieux anciens dans le domaine
du Mal, suivant les canons de la nouvelle religion officielle. Quant aux
Slaves, soumis à la double pression des catholiques à l'Ouest
et des orthodoxes à l'Est, il ne résistèrent pas
beaucoup plus longtemps. Les Baltes et en particulier les Lituaniens qui
avaient fondé une puissante principauté de la Baltique
à la mer Noire furent les derniers à se convertir en 1386,
soit près de quatre siècles après les Scandinaves. Le
paganisme ne subsistait plus que dans quelques territoires reculés,
inhospitaliers et très peu peuplés. La suite ne fut
dès lors qu'une formalité.
Le roi Dagobert vouait un culte tout
particulier à saint Denis, et les fouilles récentes ont
montré qu'il était à l'origine de l'agrandissement de
l'oratoire, construit sur le lieu supposé de la sépulture du
saint, ainsi que de la fondation de l'abbaye bénédictine. Il la
combla de ses faveurs et y installa des moines, qu'il autorisa à
ouvrir un marché pour y vendre leur vin. Ce marché devint
rapidement une plaque tournante du commerce avec l'Angleterre et les pays du
Nord, siège des foires du lendit.
Mort à Saint-Denis, près de
Paris, vers 639, Dagobert fut le premier d'une longue série de rois
à être inhumé dans l'église, devenue le
mémorial de la monarchie.
Afin de
satisfaire le particularisme de l’aristocratie austrasienne, que
dominaient le maire du palais Pépin de Landen et
l’évêque de Metz Arnoul, son père l’avait
envoyé en Austrasie comme roi dès 623.
Outre le
rétablissement de son pouvoir sur l'ensemble de son royaume, Dagobert
Ier entreprit de nouvelles guerres extérieures contre des peuples plus
ou moins menaçant. Il organisa une expédition contre les Slaves
qui lentement migraient dans toute l’Europe de l'Est et venaient de
s'établir en Moravie et en Bohème. Un commerçant franc,
Samo, parvint à organiser et à diriger une puissante tribu
slave, les Wendes. Mais en les laissant massacrer des Francs, Samo
défiait indirectement Dagobert. Refusant de châtier les auteurs
du massacre, Samo suscita contre lui une riposte militaire. En effet,
Dagobert Ier mit sur pied une grande armée dirigée par
Chrodeberg. Or, après des débuts prometteurs, ce dernier fut
finalement défait en 631 en Bohème, à Wogstisbourg. Malgré cela,
Dagobert Ier persista à poursuivre la guerre et vainquit en
définitive les Wendes même s'il ne put les soumettre à
son pouvoir. Par la suite, il combattitvictorieusement les Wisigoths puis imposa sa souveraineté dans
le turbulent duché de Thuringe. Toutes ces expéditions avaient
l'avantage de rapporter de nombreux butins qui permettaient d'enrichir le roi
et l'aristocratie franque. Cette dernière voyait plus
d'intérêt à soutenir le roi qui les enrichissait
plutôt que de le combattre.
Les
rivalités, l'ambition, les mesquineries qui assombrissent l'histoire
de l'Europe, au moyen âge, ne tardèrent pas à
pénétrer également dans le petit royaume chrétien
de Jérusalem. L'idéal religieux auquel il devait son origine
n'était pas éteint, sans doute, et se manifestait même de
bien des manières, mais les intrigues de famille, l'orgueil, la
cupidité jouaient aussi leur rôle. Peu à peu, l'opinion
s'était installée au sein de la chevalerie qu'il était honteux pour un chevalier de n'avoir pas fait un voyage cri
Terre sainte et, de leur côté, les
chevaliers qui séjournaient dans le royaume de Jérusalem pour
un temps prolongé en tiraient vanité, à l'égard
de ceux qui ne faisaient que le visiter. La cupidité des marchands
italiens exerçait aussi une influence démoralisante. Enfin, Constantinople - non sans raison -
réclamait la suzeraineté sur le
royaume de Jérusalem, et la
principauté d'Antioche était plus menacée par l'ambition
byzantine que par les musulmans. Mais, surtout, les croisés
s'étaient crus trop vite arrivés au terme de leur effort.
Quelques-uns seulement avaient conseillé la conquête de la
Mésopotamie, faisant preuve en cela, non d'une fantaisie
débridée, mais d'un sens politique avisé. On ne les
avait pas écoutés et pourtant il est bien évident que, pour n'avoir pas assuré sa domination sur les califes
de Bagdad et du Caire, le royaume de Jérusalem était
voué à une rapide disparition. Mais
les rivalités qui divisaient les musulmans rassuraient les
chrétiens. Les Fatimides, qui régnaient en Egypte, étaient hostiles au
calife de Bagdad, qui s'était laissé dépouiller de son
autorité par différents émirs qui, dès lors,
s'étaient dressés les uns contre les autres. Mais
l'énergique Atabeg Imadeddlin Zengi, de Mossoul, vainquit ces émirs les uns après les
autres et, dès 1137, se tourna contre les chrétiens. A la fin de l'année 1144, Edesse tomba, Edesse qui couvrait la
frontière orientale du royaume chrétien. Dès lors, la
chute de Jérusalem rie fut plus qu'une question de temps.
Comme des appels au secours
pressants parvenaient en Europe, le pape Eugène
III mit tout son zèle à organiser
une nouvelle Croisade. Il encouragea le roi de France, Louis VII, à en prendre la
tête. Celui-ci accepta ce rôle d'autant plus volontiers qu'il
espérait ainsi expier un crime dont le souvenir le tourmentait:
l'incendie d'une église dans laquelle un certain nombre de personnes
avaient cherché refuge. Puis le pape chargea Bernard de Clairvaux de
prêcher la Croisade. Son succès ne faisait aucun doute. Il
était respecté partout comme un prophète et un
apôtre, et on lui attribuait un miracle. De lourdes
responsabilités pesaient déjà sur ses épaules;
pourtant, il n'hésita pas à assumer la mission qui lui avait
été confiée. Il est vrai qu'il avait pour Eugène
III, ancien moine de l'abbaye de Clairvaux, et l'un de ses anciens disciples,
un attachement particulier. Il avait reproché aux cardinaux d'avoir
placé sur le trône pontifical ce moine timide et conciliant,
mais il le soutenait de tout son pouvoir. Il mit donc au service de la
Croisade toutes les forces de sa riche personnalité et tout le feu de
sa parole. Son succès fut incroyable. Le
peuple et la noblesse accouraient à lui par milliers. Lorsque, à Vézelay, en Bourgogne, il parla en plein air devant une
assemblée immense, à laquelle s'était mêlé
le roi Louis VII, les assistants lui répondirent par le cri: « Des croix, des croix, qu'on nous donne des croix ! » Dans une conversation personnelle qu'il eut avec
Bernard, l'empereur Conrad refusa d'abord de se croiser, prétextant que
l'opposition des Welf exigeait sa présence dans le royaume. Le pape,
d'ailleurs, désirait le retenir en Europe, à cause de la
perpétuelle menace que les Normands faisaient peser sur l'Italie. Mais
lorsque, quelque temps plus tard, faisant une tournée dans l'Allemagne
occidentale et méridionale, Bernard rencontra l'empereur à
Spire, il enleva sa décision. Pendant la messe, il se tourna
brusquement vers Conrad, lui adressant personnellement un discours
enflammé, tandis qu'il le regardait dans les yeux. L'empereur, avec
larmes, se déclara prêt à se croiser. C'est à la fin de mai 1147 qu'il partit de
Ratisbonne. La plus haute noblesse d'Allemagne l'accompagnait, dont son neveu
Frédéric Barberousse, Henri Welf de Bavière, Henri Babenberg et un grand nombre d'évêques, parmi lesquels le
fameux chroniqueur Othon de Freising. Suivant le Danube - une partie d'entre elle descendant le
fleuve en bateau - l'armée, à laquelle s'étaient joints
des Tchèques et des Hongrois, atteignit les Balkans. Les
Français les suivirent de près par le même chemin. Mais,
à Constantinople, les difficultés commencèrent.
Négligeant l'avis de l'empereur Manuel, les Allemands
s'obstinèrent à cingler vers l'Asie-Mineure par le plus court
chemin; seul, Othon de Freising, à la tête d'une petite troupe,
se décida à suivre la côte. Mais au bout de quelques
jours, les Seldjoucides attaquèrent avec
une telle violence que l'armée allemande dut se retirer; sa retraite ne fut rien moins qu'un combat défensif. A
Nicée, elle rejoignit l'armée française. Diminuée
d'une grande partie de son effectif, tombé sous les coups des Turcs, elle se
dirigea sur Antioche par mer. Freising, lui, débarqua ses forces plus
au sud. La vanité et la désunion des chefs de la Croisade
vinrent tout entraver. Au lieu de secourir les points les plus
menacés, Alep et Edesse, ils allèrent mettre le siège autour de Damas,
puis, bridés par un accord secret conclu entre l'émir de cette
ville et le roi de Jérusalem, ils renoncèrent sans autre
à cette entreprise. Les deux rois d'Occident engagèrent alors leurs armées dans des
aventures inutiles. Sur le chemin du retour, Louis
VII partit pour la Sicile, accompagné d'Henri Welf, oncle d'Henri le
Lion; il y conclut avec Roger II un pacte d'assistance contre les
Hohenstaufen. Pendant ce temps, Antioche et
Damas tombèrent aux mains de Nureddin, fils et successeur de Zengi. Le
sort de Jérusalem se trouva fixé.
L'échec de la Croisade,
entreprise avec tant d'enthousiasme, fit à l'abbé de Clairvaux
une peine affreuse. Dans une lettre, il écrivit: « Malheur aux chefs responsables. Ils n'ont rien su faire de
bon en Terre sainte. Dès que les premières hostilités
ont pris fin, ils se sont hâtés de regagner leurs seigneuries,
où ils se livrent à toutes sortes de désordres...
Impuissants pour le bien, ils ne sont que trop puissants pour faire le mal ». La véritable cause de l'échec de la
Croisade, c'est que l'enthousiasme ardent qui animait le pape Eugène
et Bernard de Clairvaux manquait au coeur des croisés. Par sa
prédication, Bernard, sans doute, avait allumé un feu qui
s'était éteint trop vite.
A la même époque
se produisirent d'autres petites entreprises guerrières que l'on peut,
jusqu'à un certain point, considérer comme des Croisades, car
un de leurs buts était bien l'expansion du christianisme. Une armée,
composée d'Allemands, d'Anglais et de Normands, se rendit dans la
péninsule Ibérique, en 1147, appelée par Alphonse de Portugal qui lui
demandait de chasser les Maures de Lisbonne; elle y réussit. Albert
l'Ours et Henri le Lion organisèrent une campagne contre les Wendes
des bords de la Baltique, au cours de laquelle ils se mesurèrent aussi
avec les Danois, dans des combats navals. Un détachement de
l'armée marcha contre les Abodrites, un autre contre les
Poméraniens. Mais la guerre se termina par de vagues compromis.
Quatorze seigneurs tchèques
se firent baptiser à Ratisbonne, en 845. Mais, là-dessus, un grave conflit
éclata entre missionnaires. Ratislav, obéissant à son antipathie pour la
mentalité allemande, demanda à l’empereur d’Orient,
Michel III, de lui
envoyer quelques missionnaires. Cyrille et Méthode, deux moines d’une haute culture, furent envoyés
de Salonique, mais, fort malheureusement pour la cause chrétienne, ils
entrèrent en conflit avec les évêques allemands qui
voyaient en eux des rivaux. Ils avaient commencé à traduire la
Bible en langue slave et célébraient le culte dans la langue
populaire, ce à quoi les missionnaires allemands s’opposaient
avec violence. Le litige fut porté à Rome, où Cyrille
devait mourir, mais Méthode sortit victorieux de la lutte. Cependant,
après sa mort, en 885, l’influence allemande
devint prépondérante en Bohème
et le rite latin fut introduit dans les cérémonies du culte.
Les Slaves de l’ouest regardèrent résolument vers Rome et
l’Occident, ce qui, à l’époque, avait
d’autant plus d’importance que la rupture inévitable entre
Rome et Constantinople allait se produire.
L’empereur Arnoulf engagea une lutte à mort contre Swatopulk, successeur de Ratislav
et appela les Hongrois à l’aide. Le
grand royaume morave succomba sous leurs coups (906); mais la Bohème se releva
bientôt de ses ruines et enfanta un nouvel Etat des Slaves de l'ouest,
le duché - plus tard royaume - de Bohème. Les Tchèques furent les véritables soutiens de
cet Etat dont les souverains appartenaient à la famille des Premyslides. La citadelle de Prague devint le centre d’un
Etat et d’une civilisation.
Les Premyslides se fixèrent deux buts:
faire l’unité des Slaves de l’ouest et fortifier la civilisation
chrétienne; ils surent atteindre l’un
et l’autre parfaitement. Wenzel Ier (920-929), par un accommodement avec le roi Henri l’Oiseleur,
régla la question des relations de son duché avec
l’Allemagne, dont il reconnut la suzeraineté, et introduisit
définitivement son peuple dans le domaine de la civilisation
chrétienne de l’Occident. Mais il devait périr
assassiné, sans doute victime d’une conjuration dont son
frère Boleslav
était le chef et dont les membres, encore païens, haïssaient
toute influence allemande. Othon Ier jugula la rébellion de Boleslav et rétablit les
choses dans leur ancien état. Les missions chrétiennes
reprirent leur activité et furent définitivement conduites par
l’Église d’Allemagne. Avec l’assentiment du pape et
du grand évêque Wolfgang de
Ratisbonne, un
évêché fut fondé à Prague en 973. Ainsi la Bohème eut
son centre ecclésiastique propre, quoique le nouvel
évêché se trouvât dans la dépendance de
celui de Ratisbonne. Par la suite, les relations avec l’empire
devinrent beaucoup moins solides et moins précises.
C’est au Xe siècle que les
Polonais entrent vraiment dans le champ de l’histoire. La dynastie des Piastes fonda un Etat qui groupa
divers peuples slaves entre l’Oder et la Vistule. Mieszko (960-992), prince capable
et qui voyait clairement le but à atteindre, se laissa gagner au
christianisme par son épouse tchèque Dubravka, et imposa le
christianisme à son peuple. Des raisons
politiques semblent avoir pesé d’un
grand poids sur ses décisions. En effet, c’est par
l’adoption du christianisme que Mieszko pouvait prévenir le plus sûrement le danger allemand, puisque les Allemands ne pourraient plus dissimuler leur
ambition de conquête sous le prétexte de se protéger
contre des païens ignorants. Toutefois, il semble que Mieszko ail
toujours reconnu la suzeraineté de l’Allemagne, et
l’évêché de Posen, qui fut fondé sous son
règne, fut ensuite placé sous la dépendance de celui de
Magdebourg. Ainsi la Pologne se trouva, à
son tour, orientée vers Rome et l’Occident, ce qui constitue l’un des faits les plus importants de
son histoire. Mais de lui découle un autre fait digne de
réflexion: la fissure qui partagea dès lors en deux le monde slave; les Slaves de l’est et du sud (à
l’exception des Croates et des Slovènes) entrèrent dans
l’orbite de Constantinople dont ils adoptèrent les idées
religieuses et la culture, tandis que les Slaves de l’ouest
(Tchèques, Slovaques, Polonais) se rattachaient à
l’Occident latin.
Les premiers maîtres de la Pologne
furent les plus remarquables de tous ceux qui la gouvernèrent au cours
de son histoire. Au grand Mieszko succéda un fils plus grand encore, Boleslav Chrobry (c’est-à-dire
le Vaillant) (992-1025).
C’était un homme d’une énergie puissante et un
politicien réaliste et sans scrupule. Il sut utiliser à ses
fins propres l’idéalisme stérile de l’empereur Othon III. Avec son assentiment et
celui du pape, il fonda l’archevêché de Gnesen, détacha ainsi la Pologne de I’Eglise allemande
et donna au pays son propre centre religieux. Des
conquêtes militaires furent nécessaires au succès de ses
visées politiques et culturelles. Boleslav s’empara de Cracovie,
de la Silésie et de la Slovaquie, jusque-là possessions de la
Bohème. Après la mort d’Othon
III, il pénétra en Allemagne et
occupa la Lusace et Meissen, voire même Prague. Il s’ensuivit une
guerre de quatorze ans avec l’empereur Henri
Il, qui se termina tout à l’avantage
de la Pologne. Boleslav, il est vrai, dut reconnaître formellement la
suzeraineté du roi d’Allemagne, mais il conserva ses conquêtes. Du
côté de l’est, il agrandit aussi son domaine et, pour
quelque temps, retint même Kiev sous son sceptre. Ainsi fut constitué un grand royaume
de Pologne qui s’étendait de la Baltique à la Moravie et
du Boug jusqu’à l’Elbe. Peu avant sa mort, Boleslav compléta son oeuvre en se faisant couronner
roi.
Mais le jeune Etat n’avait pas une
organisation intérieure solide; si bien qu’il s’effondra
rapidement dans la confusion qui suivit la mort de ce grand prince.
En 966, en épousant la princesse
Dubravka , sœur du duc de Bohême Boleslav I er , et en se convertissant
à la foi chrétienne, Mieszko I er , prince des Polanes (963-992), entrave la poussée
germanique et évite que l'évangélisation des Slaves
païens se fasse sous l'autorité du Saint Empire. A long terme, il
incorpore la Pologne, pays isolé et perpétuellement voué
à la défensive, à l'Europe.
Il entreprend en 983 de parachever la
conquête, commencée au début de son règne, de la
Poméranie occidentale avec le castrum de Stettin et le littoral de la
Baltique. Après la mort de Dubravka, il épouse Oda, fille du
duc de la marche du Nord Brandebourg, rompt son alliance avec la
Bohême, et se lance dans la conquête de la Petite Pologne de
Cracovie et de la Silésie. Vers 990, dans le souci de protéger
l'indépendance de son Etat et d'obtenir pour son fils une couronne
royale, Mieszko I er
fait don de son royaume au Saint-Siège.
Le fils de Mieszko, Boleslas Ier Chobry
(«le Vaillant», 992-1025), étend les
frontières de l'Etat tout en ménageant de bonnes relations avec
l'empereur Oton III (983-1002); toutefois, lorsqu'il tente de soumettre
les Vélètes (Wendes) de la Lusace, il se heurte à leur
protecteur, l'empereur Henri II de Bavière. En revanche, en
1003-1004, il conquiert la Bohême, la Moravie, la Lusace et le pays de
Milsko (Milzenland). Mais la Bohême est reprise par Henri II en
1018 ; la paix conclue à Budisyn laisse au duc de Pologne le
Milzenland, la Lusace et la Moravie. Il s'empare ensuite des territoires du
Bog et du San avec les places fortes de Czerwien et de Przemysl. Boleslav,
qui entretient des relations épistolaires avec les empereurs de
Byzance et avec le pape, obtient de ce dernier, en 1000, la création
de l'archevêché de Gniezno, qui fait de la Pologne une province
ecclésiastique dépendant directement de Rome. En 1025, il se
fait couronner roi avec le consentement du pape.
Avec ses successeurs, Mieszko II,
Casimir Ier le Rénovateur, Boleslas II le Hardi et Boleslas III
Bouche-Torse (1102-1138), s'ouvre une période de crise (1034-1040)
puis de relèvement de la monarchie. Débauché et ivrogne,
Mieszko II (1025-1034) compromet l'œuvre de son père : son
règne est marqué par de nombreuses révoltes et il doit
finalement reconnaître la suzeraineté de l'empereur
Conrad II. Confronté aux appétits du Saint Empire, aux
révoltes des nobles et aux invasions des Mongols et des Lituaniens
païens en Grande Pologne et en Mazovie, le pays se disloque en
duchés indépendants, même s'ils restent liés encore
par le sentiment d'appartenance à une langue, à une religion et
à une culture commune.
En 1037, Casimir I er le Rénovateur (1038-1058) est chassé par ses
sujets révoltés et ce n'est qu'avec l'aide de l'empereur
Henri III qu'il parvient à rétablir son autorité,
l'année suivante. Boleslas II le Hardi, qui lui
succède (1058-1079), mène des guerres victorieuses et prend la
couronne royale en 1076, mais, après une expédition
malheureuse contre Kiev, il se heurte à une rebellion des barons et
des prélats, adversaires d'un pouvoir monarchique fort;
excommunié après avoir fait exécuter
l'évêque Stanislas de Cracovie, il doit s'exiler. Sorti
vainqueur d'une lutte contre son frère Zbigniew qui lui disputait la
succession, Boleslas III Bouche-Torse (1102-1138) parvient à
réunifier la Pologne et recouvre la Poméranie occidentale
perdue par ses prédécesseurs (1135), mais il procède au
partage de la Pologne entre ses fils, dont l'aîné portera le
titre de prince suzerain.
Morcellement et
réunification de la Pologne (1138-1370)
La rivalité des prétendants au
trône du prince suzerain établi à Cracovie entraîne
de nombreuses guerres civiles. Le morcellement de la Pologne s'aggrave par la
création de nouvelles principautés qui se rendent
indépendantes, entraînant un affaiblissement de plus en plus
marqué de l'autorité des princes suzerains en faveur du grands
seigneurs ecclésiastiques et laïcs qui les déposent
à leur gré. Ainsi, après Boleslas IV (1146-1173),
Mieszko III (1173-1177) est renversé par les aristocrates, qui le
remplacent par son frère Casimir II (1177-1194).
De nombreux colons allemands
s'établissent en Poméranie occidentale et en
Basse-Silésie, ce qui amène une germanisation de ces provinces.
La marche du Brandebourg s'empare d'une partie des provinces occidentales de
la Pologne. La situation s'aggrave en 1226, lorsque les chevaliers
Teutoniques, venus évangéliser les Prussiens, se retournent
contre leurs hôtes polonais, conquièrent la Prusse et fondent un
Etat indépendant. Le 14 novembre 1308, les Teutoniques entrent
dans Gda4sk, dont ils massacrent la population, et s'emparent de la
Poméranie orientale. S'ajoutent aussi, depuis 1241, les ravages
récurrents des invasions mongoles, qui dévastent le pays.
Cependant, la conscience des dangers politiques, renforcée par une
forte identité linguistique, culturelle et religieuse
(métropole ecclésiastique de Gniezno) suscite une tendance
à la réunification du pays.
Après un morcellement de deux
siècles, où les duchés étaient divisés en
châtellenies autour d'un château tenu par un baron féodal,
un souverain énergique Ladislas I er le Court (Wladislaw Lokietek, 1260-1333) parvient à
reconstituer un royaume amputé en réunissant la Grande et la
Petite Pologne ainsi que la province de Kujawie (ou Cujavie, région
située entre la Grande Pologne et le duché des chevaliers
Teutoniques). En 1320, il consacre la réunification du pays en
recevant à Cracovie la couronne royale que porteront désormais
tous ses successeurs.
Son fils, Casimir III le Grand
(1333-1370), rétablit l'Etat, et son règne est une ère
de prospérité et d'épanouissement (selon l'expression
polonaise, Casimir le Grand trouva une Pologne en bois et laissa à sa
mort une Pologne en briques). Ce «roi de paysans», protecteur des
Juifs (il accueille ainsi 300 communautés ashkénazes
fuyant les pogroms d'Allemagne, et une «ville juive» se forme
à Cracovie), réforme l'Etat, instaure la monnaie, codifie les
lois, encourage le commerce et favorise l'émergence des villes en
Petite et Grande Pologne; il fonde l'université de Cracovie en 1364.
Il sait aussi conclure la paix avec Jean de Luxembourg en persuadant
celui-ci de renoncer au trône de Pologne, et négocier par le
traité de Kalisz avec les chevaliers Teutoniques la
réincorporation dans son royaume de la Kujawie et de la terre de
Dobrzyn en acceptant de perdre la Poméranie de Gdacsk. Il rencontre
cependant un échec en 1348 avec les deux ducs Piast de Silésie,
qui préfèrent rester sous la suzeraineté de la
Bohême ; la région la plus riche et la plus peuplée du
royaume échappe ainsi définitivement à la Pologne.
Par une longue guerre qui dure de 1348
à sa mort, Casimir III poursuit une politique de conquêtes
en direction de l'Est. Il obtient ainsi les territoires de Halicz, de
Przemysl et de Lvov. Il s'emploie à poloniser les Slaves orthodoxes
qui peuplent ces régions, créant notamment à Lvov un
archevêché catholique. Avec lui s'achève la dynastie des
Piast. N'ayant pas de fils, il désigne son neveu, l'Angevin Louis I er le Grand, roi de Hongrie, pour
lui succéder (1370).
[...itch.]
Les Slaves d'Autriche et les Magyars. Études
ethnographiques, politiques et littéraires sur les Polono-Galliciens,
Ruthènes, Tchèques ou Bohèmes, Moraves, Slovaques,
Sloventzis ou Wendes méridionaux, Croates, Slavons, Dalmates, Serbes,
etc. Et les Hongrois proprement dits ou Magyars,
Paris : Passard, 1861.
VI.- Les Magyars et leurs rapports avec les autres
nationalités historiques et ethnologique des pays hongrois
121
VII. Luttes des nationalités d'Autriche en 1848
141
Conclusion
163
[1]
AVANT-PROPOS
On lit dans le journal le Nord, du 18 août 1860 :
Nous avons souvent
été à même, à notre grand regret, de
constater dans plusieurs journaux, lorsque la question des races slaves s'y
trouvait évoquée, un défaut essentiel de notions et de
renseignements sur une des plus graves questions qui intéressent
l'avenir de l'Europe. Nous croyons devoir en conséquence ouvrir nos
colonnes à un travail considérable sur les populations slaves
de l'Autriche, dû à la plume la plus autorisée et la plus
marquante dans cette matière. Nous publions ce travail, sur lequel
nous
[2]
appelons toute
l'attention de nos lecteurs , sans en rien retrancher, nous réservant
le droit de présenter, sous forme de notes, les observations que
certains passages pourraient nous suggérer.
[3]
Les Slaves d'Autriche
L'Autriche est
malade, bien malade! Voilà un mot prononcé d'abord par un homme
du parti conservateur en Autriche et répété cent fois
dans les journaux, de sorte qu'il a passé en proverbe. Mais si tout le
monde est d'accord sur la maladie, les opinions sur son caractère, sur
les causes, sur la possibilité d'y apporter remède et
les,moyens à employer diffèrent considérablement.
Il est inutile de
dire que les suites de cette maladie peuvent avoir des conséquences de
la plus haute importance pour toutes les nations de l'Europe; car si le
malade devait succomber, les disputes qu'entraînerait le partage d'un
héritage aussi riche se
[4]
raient bien autrement
graves que celles que pourrait entraîner le partage de la Turquie. Si
un édifice aussi élevé venait à
s'écrouler, les débris en tomberaient bien loin, sans doute. Il
importe donc bien à tout le monde de se préoccuper de la
possibilité d'un pareil événement et de chercher
à connaître l'état des choses. En outre, cette Autriche
est une construction bien singulière. Ce n'est pas un État
comme les autres; ce n'a jamais été qu'un assemblage de
différents États, plus ou moins indépendants,
placés au centre de l'Europe et réunis sous un seul sceptre.
Dans cet assemblage se trouvent des portions considérables, des trois
grandes familles de la noble race indo-européenne, qui ont
créé la civilisation et se sont partagé la vieille
Europe, d'où elles dominent le monde; je parle des familles latine,
germanique et slave. Par conséquent, si cet assemblage de
nationalités dont se compose l'Autriche venait à se dissoudre,
ces trois familles y seraient fortement intéressées.
Malheureusement, il
n'est pas facile de se procurer, par les journaux du pays et de
l'étranger, des renseignements exacts sur la situation, les
souffrances et les besoins de l'Autriche. Ceux qu'on trouve dans la presse
française, anglaise ou alle-
[5]
mande ne sont que
trop souvent faussés par l'esprit de parti. Les correspondants sont
tous ou presque tous des Allemands ou des Hongrois émigrés, qui
aiment à représenter les choses au point de vue exclusif de,
leur nationalité et qui souvent n'ont pas même une idée
bien juste des changements survenus dans les rapports entre les
différents peuples soumis à la domination autrichienne.
Cependant, à côté de la race allemande, et de la race
hongroise, il existe une qui, à elle seule, constitue presque la
moitié de ce vaste empire, sur laquelle repose principalement la force
militaire de l'Autriche et. dont les sympathies et les antipathies ont
toujours exercé une très grande influence sur ses
destinées. C'est elle qui, en 1848, a sauvé la monarchie, pour
ainsi dire presque malgré elle, et qui, probablement, est
appelée à décider encore une fois de son sort. Ainsi,
jusqu'à présent, on n'est instruit, qu'à demi sur
l'état de l'Autriche, parce que les Slaves, qui n'ont pas de rapports
suivis avec la presse de l'Occident, comme les Allemands et les Hongrois, ne
peuvent dévoiler leur situation ni leurs tendances politiques.
Quant à la
presse périodique du pays elle est opprimée à un tel
point qu'on a même saisi des jour-
[6]
naux semi-officiels,
et c'est à cause de cette oppression et de la
sévérité de la police que quelques-unes des nations
sujettes à l'Autriche n'ont pas d'organe politique in, organe de la
noblesse gallicienne. Les Magyars ne sont guère mieux partagés.
Aux Bohèmes, dont la littérature est si féconde et si
active, le gouvernement refuse obstinément toute concession pour la
fondation d'un journal politique indépendant. Il se flatte de mieux
servir la population bohémo-slave de 7 millions d'âmes, en
publiant lui-même trois journaux officiels. De même il n'y a que
des journaux officiels pour les Slaves du Sud, pour les Vallaques (Roumains)
de la Transylvanie et de la Hongrie, et pour les Petits-Russiens de la
Gallicie. Les Serbes orthodoxes de l'Autriche avaient une seule feuille
périodique ; le gouvernement l'a supprimée, parce qu'elle ne
voulait renier ni sa foi, ni sa nationalité. On connaît quelle
liberté est accordée à la presse italienne ! Mais au
moins les Italiens ont un point d'appui dans la presse piémontaise et
dans la presse étrangère, qui se font l'écho de leurs
doléances et s'en préoccupent. Au reste, quand même la
presse autrichienne serait plus indépendante qu'elle
[7]
[8]
former qu'une
idée imparfaite des choses, et peu conforme à la
réalité.
Cela étant, la
presse française et la presse anglaise sont forcées de puiser
à une source altérée, c'est-à-dire dans la presse
allemande, la plus grande partie de leurs informations. Voici pourquoi la
maison d'Autriche ne saurait oublier l'éclat que jetait jadis autour
d'elle la couronne d'Allemagne, qu'elle garde encore de nos jours
soigneusement à Vienne dans la chambre du trésor, et qu'elle
espère replacer un jour sur sa tête. Dans cette espérance
elle aime à se poser, devant le monde allemand, comme le champion le
plus ardent de l'esprit et de la nationalité allemands, comme un
propagateur zélé des idées germaniques, parmi les
peuples qui composent soit empire. Il faudrait cependant une bonne dose de
naïveté pour croire à cette propagande: l'Autriche
actuelle ne peut admettre aucune idée de progrès, dont les
Allemands puissent s'honorer. Pourtant ces bons Allemands aiment à
croire à la propagande autrichienne et se, laissent bercer de cette
illusion, parce que, avant tout, ils chérissent l'idée qu'ils
sont destinés à porter la. civilisation dans l'Est,
c'est-à-dire à y dominer ! Le doux chatouillement de cette
opinion, qui est fixe chez eux,dédommage cette na-
[9]
tion, d'ailleurs si
respectable sous beaucoup de rapports, du peu d'influence qu'elle a, comme
nation, sur la haute politique européenne. A cause de cette injuste
ambition des Allemands de dominer leurs voisins, et de leur imposer leur
langue et leur littérature avec l'aide d'une dynastie allemande,
l'Autriche après cent échecs devant l'opinion publique, est
toujours parvenue à reconstituer son parti dans la presse du pays,
pour faire approu ver sa politique a l'extérieur et applaudir à
son administration à l'intérieur. L'organe le. plus
dévoué à la politique autrichienne est la Gazette d'Augsbourg, qui ne cesse
d'insulter ces pauvres nations sutjettes de l'Empire, en les
représentant comme des races inférieures, incapables d'une
civilisation propre et forcées, par leur nature, de se soumettre
à la conduite et à la domination de la race allemande. Gagner
tous ces peuples à la domination. de l'Allemagne, c'est,
d'après cette gazette, la sainte mission de l'Autriche, et tout bon
Allemand doit lui prêter son concours, sans y regarder de trop près,
parce, qu'il s'agit d'une cause nationale. La presse dévouée
à l'Autriche, flattant, par une argumentation aussi perfide, ce faux
orgueil national des Allemands, leur persuade de prendre parti contre ces
peuples et de trouver bonnes,quelles
[10]
qu'elles soient, les
mesures que, le gouvernement emploie pour étouffer les efforts qu'ils
font afiin de donner la vie à leur nationalité et de se
développer dans leur individualité. Il est convenu de
considérer tous les pays de l'Autriche comme autant de provinces d'une
Allemagne future, et les nations qui les habitent, comme des vassales de la
race allemande ; on doit donc considérer comme un crime toute
tentative de leur part pour arriver à une vie propre et nationale.
Cette avidité de dominer éblouit même souvent des
libéraux honnêtes et leur fait seconder les tendances
réactionnaires du gouverne ment autrichien ; cela se voit tous les
jours à l'égard des Slaves et des Magyars, et nous l'avons vu
dernièrement dans la question des Principautés. Toute la presse
allemande, presque sans exception, s'est mise à la remorque de
l'Autriche et a montré une malveillance extrême contre une
pauvre nation, dont le seul tort envers l'Allemagne était de sentir
trop vivement combien elle avait été négligée
sous le joug des Turcs, et de vouloir devenir quelque chose par l'union et
par ses aspirations à la liberté et à une civilisation
propre. C'est encore ce faux orgueil national qui, pendant la dernière
guerre d'Italie, a grossi énormément le parti de l'Autriche
[11]
La Gazette d'Augsbourg, oubliant
toute morale et toute dignité, ne cessait de répéter que
dans cette guerre il ne s'agissait au fond ni de la justice de
l'administration de l'Autriche, ni de ses droits sur les pays italiens, mais
que tout bon Allemand devait la soutenir, parce que « l'Italie est la
seule terre au monde où l'Allemand peut agir en maître. &ra
C'est ainsi que la réaction autrichienne peut soulever, en Allemagne,
un brouillard factice de faux esprit national, qui séduit le peuple et
le porte, par ses idées de conquêtes, à convoiter les
champs d'autrui, au lieu de s'occuper exclusivement de ses possessions
réelles, et de pousser aux réformes nécessaires de sa
vie politique afin d'arriver au plus tôt à cette uniter
nationale qui lui est si chère. Il n'y a que les esprits
supérieurs et les hommes vraiment libéraux qui parviennent
à percer ce brouillard. Écoutez le célèbre Vogt,
comme il se moque, et avec raison, de ce butor aristocratique allemand
à qui le plaisir de commander aux esclaves cause une
démangeaison de plaisir. Le même écrivain donne aux
Allemands le conseil salutaire de s'en tenir strictement et dans toute la
portée des mots au proverbe français : il faut laisser
l'Allemagne aux Allemands; c'est-à-dire il faut laisser à
chaque nation ce qui lui re-
[12]
vient.
Malheureusement , la presse allemande est bien loin d'adopter ce principe
à l'égard des Slaves, des Magyars et des Roumains de
l'Autriche. Elle est presque unanime à dénoncer au monde comme
des actes d'hostilité contre l'Allemagne tous les efforts de ces
peuples qui tendent à défendre contre les empiètements
du gouvernement et à développer leur nationalité ;
d'après elle, ne point accepter le bienfait que leur offre le
gouvernement d'introduire dans leurs écoles la langue allemande, c'est
méconnaître la supériorité de la civilisation
allemande, c'est, de leur part, un entêtement aveugle qui repousse la
civilisation. On traite de fanatiques du nationalisme tous ceux qui veulent
conserver, et, au besoin, défendre leur nationalité : de sorte
que, suivant cette presse, on devrait appeler fanatique de la
propriété quiconque veut conserver, et, à l'occasion,
défendre son bien. Le titre de fanatiques du nationalisme
siérait bien mieux et avec plusde raison à ceux qui, non
contents de leur nationalité, veulent, absorber celle d'autrui. Ces
injustes prétentions, cet orgueil mal entendu, font que les questions
qui s'élèvent entre les populations non allemandes de
l'Autriche et leur gouvernement sont toujours discutées au point de
vue allemand, et ja-
[13]
mais comme une
affaire à part, exclusivement autrichienne. Tout au plus on examine
si. le résultat de ces questions de nationalités profitera
à l'un ou à l'autre des deux rivaux qui se disputent
l'hégémonie ou la couronne d'Allemagne.
Je ne suis pas
arrivé à noter précisément sur les divers papiers
manuscrits, en ma possession, si le nom est "BRIESENMEISTER" ou
"BRIESEMEISTER". Dans un message datant de 1999, un professeur de
l'université de Iena Monsieur Dietrich Briesemeister m'avait
envoyé une explication sur ces deux noms.[FBB-03-09-07]
Voici la lettre que j'ai reçue :
Madame,
J'ai bien reçu
votre lettre électronique dirigée au professeur K..
En effet, je peux
vous donner quelques informations sur mon (ou notre) nom de famille. Que je
sache, il y a plusieurs explications. Comme désignation toponymique on
trouve des noms (surtout autour de Berlin) comme Brieselang, Brießnitz
(Br_zecy), Briesnig, Briest, Brieske, Briesing (Brjazyna Dolna Lu_yca),
Britz, Briesen, qui sont d'origine slave (une tribu des Wendes, de Lusace,
minorité qui encore aujourd'hui parle cette langue slave). Si je ne me
trompe le mot dérive de breza, brjazka (forme diminutive), c'est
à dire bouleau (du latin betula, arbre très répandu
à l'est sur des sols aréneux peu fertiles, Apparentement il y a
aussi un village Bries (Brezno) en Silésie. Il semble donc possible
que le nom de votre mari dérive du polonais, peut-être
pouvez-vous trouver dans le document de naturalisation la forme d'origine
complète.
Le nom Briesemeister
désigne un maître-artisan (Meister = maître, du latin
magister), cordelier ou passementier. En moyen haut allemand brise signifie
passepoil, cordon, bordure. Si le nom de votre mari dérive de
Briesemeister, il n'est donc pas d'origine slave.
Ce nom n'est trop
rare en Allemagne. La famille de mon père vient de Brandebourg,
province prussienne. Il y a aussi de nombreux émigrants aux
États Unis. D'après ce que je sais, il y a eu une forte
immigration en Prusse au XVIIIième siècle, sous le roi
Frédéric II, qui appelait des artisans à travailler
là, où il y avait une grande demande de passementiers pour
tisser les bordures des uniformes et robes. La Silésie fut conquise
sur les Autrichiens en 1741, sauf une petite partie devenue ensuite
tchèque. La Silésie prussienne céda en 1919 sa partie
méridionale à la Pologne. Le reste constituait les provinces
prussiennes de Haute et de Basse Silésie jusqu'en 1945. Depuis
là, toute la Silésie appartient à la Pologne.
Dans les
plaines de la Tisza et du Danube, presque complètement
dépeuplées depuis l’anéantissement des Avars, se précipita, vers
la fin du IXe siècle, le peuple asiatique
des Hongrois ou, comme ils s’intitulaient
eux-mêmes, des Megy-Eri (Magyars).
Ils n’étaient pas indo-européens, mais un rameau des
peuples primitifs uralo-altaïques, donc apparentés aux Huns, aux Turcs et aux Finnois. Leur chef Arpad (896-907) rassembla leurs
sept rameaux en une sorte d’unité politique et exerça sur
eux une puissante autorité. Alors commença l’époque des violentes attaques des Hongrois
contre l’Occident, qui durèrent un
demi-siècle et répandirent la terreur dans l’Europe
occidentale. Les chroniqueurs du temps parlent avec effroi de
l’apparition des Hongrois et de leurs moeurs; ils les disent
horriblement cruels et laids, des diables à forme humaine. Mais
c’est là des portraits comme on a coutume d’en peindre de
l’ennemi. En réalité, les Hongrois ne différaient
pas des autres hordes de pillards du temps des grandes migrations, mais ils
sévissaient de façon effrayante dans les pays civilisés.
Là où ils avaient passé sur leurs montures rapides, leur
route était jalonnée de cadavres et de ruines fumantes. Comme
jadis les Avars, ce qu’ils cherchaient à se procurer, ce
n’était pas le sol, mais du butin. Ils pénétrèrent en Lombardie à
l’aurore du Xe siècle, mirent fin à la Marche allemande
de l’est, battirent les derniers Carolingiens d’Allemagne et
pillèrent le sol allemand année après année. Le couvent de Saint-Gall, entre
autres, fut attaqué à l’improviste par une troupe de
Hongrois en 926.
Les Allemands apprirent à
se défendre momentanément contre ces cavaliers rapides,
armés d’arcs et de flèches, puis Henri
l’Oiseleur parvint à les
écraser dans la bataille de l’Unstrut en 933.
Mais vingt ans plus tard leur essaim reparut. Ils assiégèrent
Augsbourg qui fut défendue vaillamment et avec succès par
l’évêque Ulrich. Là-dessus, ils essuyèrent sur les bords du Lech
une défaite définitive que leur infligea l’armée
du roi Othon Ier (955). On dit que sept
rescapés seulement regagnèrent la Hongrie. Les Magyars se
virent contraints d’adopter des moeurs pacifiques. Presque
complètement encerclés par des nations chrétiennes, ils
n’auraient pu se maintenir avec leur mentalité de fils de la
steppe. Leur prince Geza (992-997) se fit baptiser avec son fils Wajk (Etienne). Geza appela
d’Allemagne des missionnaires et, dans les années qui suivirent, le rattachement de la Hongrie à la communauté des
peuples de l’Occident s’accomplit;
mais ce fut le grand roi Etienne, fils de Geza, qui prit les mesures décisives en faveur
de la christianisation et de l’européanisation de son peuple.
Son père l’avait marié à Gisèle, fille du duc de
Bavière, futur roi Henri Il. Ce mariage représenta pour lui un lien solide avec
l’Occident et l’Empire d’Allemagne. Grâce à
Etienne, la Hongrie fut incorporée
définitivement au monde occidental et chrétien. La tradition hongroise et orientale s’unissait, chez le
jeune roi, à l’admiration pour la civilisation allemande et le
christianisme; son rattachement à l’Allemagne fut d’abord
un acte personnel, mais il résolut de l’imposer aussi à
son peuple. Il était bien la personnalité
désignée pour cette tâche en sa qualité de prince
énergique, intelligent, amateur de culture.
Son premier soin fut
d’introduire en Hongrie l’influence de l’Eglise romaine.
Chrétien convaincu, très exigeant pour lui-même, Etienne était
décidé à mener à bien la conversion de son
peuple. Il dut commencer par étouffer une
révolte des Hongrois encore attachés à leurs conceptions
païennes. Il construisit des églises,
créa des couvents de Bénédictins, appela
d’Allemagne de nombreux clercs qui l’aidèrent à
organiser l’Église de Hongrie; mais, d’un autre côté,
il eut l’intelligence d’affranchir son pays de la
dépendance de la Métropole en obtenant du pape Sylvestre Il la création de
l’archevêché de Gran. Ainsi la Hongrie eut son centre ecclésiastique propre,
ce qui l’aida considérablement à devenir un Etat
autonome. En effet, la dépendance du Saint-Siège, qu’Etienne avait cherchée,
n’équivalait qu’à une très faible
dépendance politique et une couronne royale en or qu’il
reçut du pape fut pour lui d’un prix inestimable. Le 15 août 1001, il fut couronné à Gran.
La Hongrie était devenue un
royaume au caractère chrétien bien net et qui affirmait sa prétention à
l’autonomie. Le pape pourvut encore Etienne du titre de «roi apostolique» et lui
accorda d’importants privilèges dans le domaine
ecclésiastique. Etienne se préoccupa aussi de la vie économique du pays.
Il mena à bien la conquête de la Transylvanie. Il imita
l’Allemagne sur le plan de l’organisation militaire, sociale et
juridique qu’il confia à des Allemands. Plusieurs seigneurs
d’Allemagne de la suite de Gisèle l’avaient accompagnée en Hongrie, d’autres
y furent appelés en grand nombre. Ils formèrent le noyau de la chevalerie et de la future noblesse hongroise. Le système féodal de l’Occident fut
adopté; les relations de propriété et de droit furent
modifiées conformément à ses coutumes. Le pays fut
divisé en vingt-cinq comtés; la forteresse qui servait de
centre à chacun d’eux fut souvent le noyau d’une ville. Le
roi protégea les paysans libres au moyen de lois très nettes.
La façon dont il assura l’indépendance de la Hongrie, tout
en ouvrant largement la porte à la culture étrangère,
parle en faveur de son énergie politique et de sa largesse
d’esprit. Il comprit parfaitement la situation des Hongrois à la
recherche d’une civilisation et qui avaient besoin de
l’étranger pour se dégager de leur mentalité. Avec
insistance, il recommanda à son fils de respecter les étrangers
et d’apprendre à connaître leurs différentes langues,
leurs coutumes, leurs doctrines et leurs armes. «Car un royaume qui ne connaît que sa langue et ses
moeurs est faible et fragile.»
L’évolution qui fit de la Hongrie un État autonome,
national et chrétien, comme son rattachement à
l’Occident, est l’oeuvre d’Etienne
Ier, le Saint.
Cependant, le royaume resta menacé intérieurement
par les réveils du paganisme et de la tradition asiatique qui n’étaient pas encore com
Il est
généralement admis que les Normands n’ont pas peu
contribué à la ruine de l’Empire carolingien. Leurs
voyages et leurs expéditions de pillage durèrent des siècles et ne sont au fond rien
d’autre qu’une tardive manifestation des grandes migrations. Les
«hommes du nord»
(Nordmannen) sont le
rameau septentrional de la race germanique et leur civilisation ne se
distingue guère, en somme, de celle des Germains du sud, ainsi que le
révèle l’examen de leurs sépultures; c’est
d’eux qu’ils apprirent à utiliser les caractères runiques que l’on peut voir
sur un grand nombre de monuments de pierre et qui furent même plus en
usage en Scandinavie que chez les autres peuples germains, quoiqu’il ne
puisse être encore question, dans ces temps reculés, d’une
véritable littérature. Mais ce qui distingue les Normands des
autres Germains, c’est l’attrait que
la mer
exerçait sur eux et leurs excursions
aventureuses. L’eau était leur élément. Dans leurs
barques à rames, de petite dimension, ils se lançaient sur
l’océan et remontaient les fleuves. Ce qu’ils
recherchaient avant tout, ce n’était pas les conquêtes,
mais le butin. Puis,
avec le temps, ils prirent l’habitude d’établir des camps fortifiés pour hiverner et, finalement, ils se construisirent de véritables
résidences en pays étranger. Mais il ne faut pas voir, dans les
incursions normandes, seulement le pillage et les actes de violence. Sans
doute imposèrent-elles de terribles souffrances aux peuples
d’Occident, mais les Normands ne furent
pas uniquement des destructeurs. L’expansion
de ce jeune peuple plein de vigueur apporta à
l’édification de l’Europe à venir des
éléments très positifs. Les Germains du nord ne se
distinguaient pas seulement par une énergie exceptionnelle, mais
encore par une aptitude peu commune à organiser et édifier un
Etat. Leur esprit pratique et ouvert intervint de façon heureuse dans
le développement de la civilisation et de la politique. Le duché
de Normandie, le jeune royaume d’Angleterre, les Etats de
l’Italie méridionale et de la Russie sont des institutions
normandes. La politique primitive du pillage fut abandonnée enfin; les
Normands devinrent sédentaires; ils adoptèrent le christianisme et accomplirent, dans le domaine de la civilisation, une
oeuvre d’une haute importance.
Dès les temps du plus
lointain moyen âge, les Normands étaient divisés en trois
groupes: Norvégiens, Suédois et Danois. Partant des fjords de la
côte occidentale de la Scandinavie, les Norvégiens se
révélèrent des marins particulièrement hardis et,
du milieu du IXe siècle jusqu’à la fin du Xe
siècle, ils firent de puissantes conquêtes. Ils
occupèrent l’Irlande et une partie de la côte occidentale de l’Angleterre et firent de la mer
d’Irlande une mer norvégienne. Plus tard, ils
s’emparèrent des Hébrides, des Orcades et des îles
Shetland. De l’Islande, où ils fondèrent Rekjavik en 870, ils atteignirent la
côte orientale du Groenland et, de là, le Labrador, Terre-Neuve
et d’autres points de l’Amérique du Nord. Au début
de l’an 1000, ils entretenaient des relations avec ces rivages
lointains. Mais, à la longue, ils ne purent les maintenir et leurs
grandes découvertes tombèrent plus tard dans
l’oubli.
Les Suédois, dont le centre
était à Upsala,
étaient, de par leur position géographique, orientés
vers la Baltique. Ils entretenaient un commerce actif, mais pas toujours
pacifique, avec les populations de Riga et du golfe de Finlande. De
là, ils découvrirent le chemin du Dniéper. Ce
qu’ils obtinrent alors ce fut du butin, un commerce
rémunérateur, enfin de la puissance et des terres. Ils
entreprirent une véritable colonisation. Le long des routes qu’empruntait leur trafic, ils
établissaient des entrepôts fortifiés qui, avec le temps,
devinrent des villes. Novgorod et Kiev
sont les plus fameuses d’entre elles. Nous reparlerons, à propos
de l’histoire de la Russie, du développement politique
très important qui trouva là son origine.
L’histoire de ce roi met en
évidence ce dont est capable une personnalité intelligente et
énergique et le rôle qu’elle peut tenir dans
l’enchaînement des faits. Le début de son règne fut
des plus lamentables. En 878, il dut fuir devant les Danois
jusqu’à l’extrémité sud-ouest du pays et se retrancher dans les forêts et les marais du Somerset, en compagnie d’une toute petite troupe de
fidèles, tandis que beaucoup de ses sujets fuyaient sur le continent
pour éviter d’être réduits en captivité par
les Danois. On put croire que la dernière
heure du royaume saxon avait sonné. Mais
Alfred ne perdit pas courage et, soutenu par une petite armée,
parvint, au bout de quelque temps, à vaincre l’adversaire. Le
roi danois Guthrum se
fit baptiser et conclut avec Alfred un partage
des terres d’après lequel la route
conduisant de Londres à Chester marquait une frontière au nord
de laquelle les lois danoises étaient appliquées, tandis que
les lois saxonnes restaient en honneur au sud.
Pendant ce temps, Alfred s’armait en vue de nouvelles agressions. Sa grande innovation consista dans la construction
d’une flotte
dont les bateaux étaient deux fois plus longs et beaucoup plus rapides
que ceux des Danois. Ce fut la première
apparition d’une flotte anglaise. Le
résultat ne se fit pas attendre. Avec le temps, les Danois
essuyèrent tant de revers que, dès le milieu du IXe
siècle, on ne les vit plus reparaître et l’Angleterre
connut le repos.
Alfred
remédia au désordre des lois en codifiant
le droit anglo-saxon. Il réunit non
seulement les lois du Wessex, mais encore, pour autant qu’il le trouva
utile et en toute liberté de choix, celles d’autres royaumes,
auxquelles il en ajouta de nouvelles. De la sorte, il rapprocha encore les
diverses parties du pays et leur permit de faire un nouveau pas sur le chemin
qui devait les conduire à l’unité. En tête du code,
Alfred fit inscrire les dix commandements et des préceptes de
l’Ancien et du Nouveau Testament. Par cette mesure, ainsi qu’il
l’avait espéré, il
s’attira la considération de l’Eglise et s’assura
son concours pour le maintien de l’ordre et le respect des lois. Ainsi, son Etat se trouva fondé, comme il en est peu,
sur une base chrétienne.
L’entrain qu’Alfred mit à instruire et
à éduquer ses sujets fut très profitable aux
écoles. Celle de son palais, qu’il avait instituée avant
tout pour son fils, mais qu’il ouvrit aussi aux enfants des nobles et
même à des garçons de plus humble origine, fut le point
de départ d’un renouveau dans l’enseignement du peuple.
Alfred exigeait des laïques qu’ils s’instruisissent
jusqu’à ce qu’ils pussent lire parfaitement
l’écriture anglaise; mais ceux qui se destinaient à
l’état ecclésiastique devaient aussi apprendre le
latin.
Le roi Alfred peut donc
s’attribuer la gloire d’avoir non seulement assuré
à son peuple la liberté et la paix, mais aussi de lui avoir donné une organisation nationale et des lois
et d’avoir renouvelé en sa faveur les bases de l’instruction. Le fait qu’il
fonda l’enseignement non sur le latin, mais sur la langue saxonne, est
d’une grande importance. Par ses traductions et celles que
d’autres firent à son exemple, il a pourvu son peuple
d’une littérature anglo-saxonne, qui facilita plus tard le
développement de la prose anglaise. La langue populaire conserva en
Angleterre une importance beaucoup plus grande que ce ne fut le cas sur le
continent. Le savoir fut, de ce fait, plus proche du peuple, plus national
qu’ailleurs. Mais, d’un autre côté, une fissure se
préparait, sans doute, qui devait isoler l’Angleterre de toute
la chrétienté d’Occident.
Les premiers successeurs
d’Alfred surent non seulement conserver ce qui était acquis,
mais ils l’augmentèrent encore en anéantissant les
Ecossais et les Danois qui s’étaient maintenus en Angleterre et
en Irlande. Le roi Edouard,
fils d’Alfred, prit le titre de roi d’Angleterre. Edgar (957-975), à qui les
rois celtes du Pays de Galles et de l’Ecosse prêtèrent
serment de fidélité, se fit même couronner
empereurauguste d’Angleterre. Il éleva le moine Dunstan à la dignité
d’archevêque de Cantorbury et lui assura une grande influence
dans l’Etat et dans l’Eglise. Dunstan s’efforça de
réconcilier les Anglo-Saxons avec les Danois et d’établir
un lien fédératif entre leurs
diverses tribus. C’est lui surtout qui, avec
l’appui du roi, implanta en Angleterre la réforme
bénédictine, venue de France, et arracha ainsi les couvents, comme le
clergé séculier, à leur terrible indolence. Le
rattachement spirituel de l’Angleterre au continent fut rétabli
de ce fait et l’avenir devait le fortifier encore.
Le Xe siècle vit l’apogée de la vieille civilisation anglo-saxonne. Une noblesse terrienne et une armée de métier
étaient parfaitement constituées. La vie économique
avait atteint un degré remarquable. Tandis que les paysans devenus
sédentaires se vouaient à l’exploitation du sol et
à l’élevage, l’artisanat s’installait dans
les villes, donnant essor à un commerce actif que les rois
encourageaient avec ardeur. Dans les assemblées de village et les
assemblées des comtés, se développait une
activité publique limitée et, avec elle, une certaine
conscience démocratique de la solidarité.
La royauté ne fut jamais
tyrannique. Seul, le sheriff, administrateur des domaines royaux, était directement
soumis au roi, un fonctionnaire dans sa dépendance immédiate.
Pour le reste, le roi dépendait de
l’assemblée royale, constituée
selon une règle établie, le «Witenagemot ». C’était l’assemblée
des seigneurs ecclésiastiques et laïques.
Elle choisissait le roi, éventuellement le déposait,
sanctionnait les impôts, rendait la justice et intervenait même
par ses conseils et ses décisions dans la vie de l’Eglise. Elle
nommait les évêques et les abbés, discutait de la
politique étrangère, de l’armée et de la flotte.
Cette assemblée fut l’une des racines
du parlement anglais. Mais à la fin du Xe
siècle se produisit une décadence
politique, l’oeuvre d’Alfred et de Dunstan tomba en ruines. Sous le
règne du faible et cruel Ethelred Il (978-1016), l’Angleterre connut une nouvelle invasion
danoise. Tout d’abord, le roi acheta la paix en acceptant de payer un tribut annuel. Ensuite, dans
l’espoir de se libérer, il donna l’ordre d’assassiner tous les Danois qui étaient en Angleterre (1002); il en tomba des milliers; mais une guerre de revanche
s’ensuivit. Le roi danois, Sven, furieux, se jeta sur l’Angleterre. Cantorbury fut saccagée et l’archevêque
tué. Ethelred dut fuir en Normandie. Le
fils de Sven, Canute le Grand, se fit reconnaître pour roi par les seigneurs
anglo-saxons. Dès lors, l’Angleterre ne fut plus qu’un morceau du grand empire danois qui
s’étendait de la Baltique au Groenland, pardessus les
diverses îles britanniques, car, en 1028, Canute s’empara aussi de la Norvège et de toutes ses dépendances. Entre temps, il
était devenu chrétien, ce qui provoqua chez lui une
transformation intérieure. Il gouverna son empire avec sagesse et
équité, interdit le paganisme, abolit l’esclavage, fonda
des églises et des couvents. Mais après sa mort (1035), son
empire s’effondra et l’Église y fut troublée par le
désordre et la confusion.
En Angleterre, sous Edouard le Confesseur (1042-1065), les Anglo-Saxons rentrèrent dans leurs droits.
Pendant son règne et grâce à lui, l’abbaye de Westminster fut
construite. Toutefois, il manquait complètement de personnalité
et avait noué avec les Normands de France des relations tellement
étroites qu’il lui devint impossible d’échapper
à leur emprise. Après sa mort, le duc Guillaume de Normandie
prétendit avoir des droits au trône d’Angleterre. Il sut
gagner le pape à son point de vue et donner à sa conquête
l’apparence d’une croisade. En septembre 1066, il s’embarqua sur la Manche avec une flotte puissante
et débarqua près de Hastings. Une bataille s’engagea dans le voisinage qui
décida du sort de l’Angleterre. On raconte que le
chevalier-trouvère, Taillefer, chanta la chanson de Roland devant l’armée prête au combat, afin de
réveiller son ardeur. Les Normands eurent la victoire. Harold tomba sur le champ de
bataille; il est reconnu comme le dernier des rois anglo-saxons. Avec Guillaume Ier, le Conquérant, commence une ère nouvelle de l’histoire
d’Angleterre. Les Normands, tant ceux venus de France que les Danois,
ont exercé une influence considérable sur
l’évolution si diversement orientée des Anglo-Saxons. Par
la dernière grande invasion, un sang nouveau fut infusé aux
peuples de l’île; l’Etat fut fondé sur une base
nouvelle, l’Eglise rénovée. Les rapports qui unissaient
la dynastie avec la Normandie renforcèrent le lien qui rattachait la
culture anglaise à celle des peuples chrétiens de
l’Occident.
plètement déracinés, si bien que, peu
après la mort d’Etienne déjà, il connut de
sérieux revers.
Le royaume arabe d’Espagne se fortifia
intérieurement, le prince ommiade, Abderrhaman, ayant trouvé moyen de s’élever au rang de
souverain autonome et d’établir un émirat
indépendant
dont le siège était à Cordoue (758). L’un de ses lointains successeurs, Abderrhaman IX, fut même
assez audacieux pour prendre, en 929, le titre de calife. Une civilisation d’origine arabe,
particulièrement avancée, s’installa en Espagne. Des
mosquées et des palais de style mauresque furent construits à
Cordoue et dans les autres villes du royaume. Avec le temps, une vie
intellectuelle intense se développa autour des souverains que
fréquentaient des poètes, des chroniqueurs, des philosophes. La
philosophie chrétienne d’Occident, à
l’époque du haut moyen âge, en reçut même une
impulsion d’une grande valeur.
Les Espagnols vaincus représentaient
naturellement l’élément le plus nombreux de la
population, assujettie à une petite minorité
étrangère. Leur sujétion comportait avant tout des charges matérielles; outre
un impôt personnel, ils payaient un impôt foncier et ils
assuraient le recrutement des armées de leurs maîtres. Cependant
les Arabes manifestaient une grande
tolérance à l’égard du peuple chrétien
qu’ils avaient vaincu, car,
conformément à leur coutume, ils ne faisaient point de
prosélytes, si ce n’est parmi d’autres Arabes. Sans doute
les chrétiens étaient-ils passibles de la peine de mort quand
ils s’attaquaient à l’Islam, mais ils purent conserver
leur législation propre, leurs tribunaux, leurs services divins et
leur hiérarchie ecclésiastique, avec leurs évêques
et leurs métropolitains. Ils pouvaient même prétendre aux
charges et aux dignités publiques. On vit
des mosquées et des synagogues s’édifier dans les villes
à côté des églises.
Aucun gouffre ne se creusa entre les deux civilisations. Les chrétiens
parlaient et écrivaient l’arabe avec prédilection. Cette
langue devint même celle des poètes, si bien que l’Espagne
chrétienne courut le danger que sa propre culture ne fût
submergée par celle de l’étranger. Nombreux furent les
Espagnols qui s’adaptèrent à la mentalité arabe;
d’autres, par intérêt, abjurèrent le christianisme;
d’autres encore, même au sein du clergé, consentirent
à des compromis. Mais il y en eut aussi qui, résolument, voire
même fanatiquement, luttèrent contre l’emprise arabe. Leur
attitude provoqua un revirement chez les Maures qui, du milieu du VIe
jusqu’au milieu du XIe siècle, se manifesta par des persécutions.
Par bonheur pour l’Espagne
chrétienne, une petite partie de la péninsule, Asturies, Galice, Biscaye, avait pu, dès le
début, échapper à l’invasion. Ces braves petites
communautés qui se trouvèrent fortifiées par
l’arrivée de réfugiés fuyant le reste de
l’Espagne, préparèrent immédiatement la guerre
contre l’étranger et entreprirent avec ténacité la
reconquête de l’Espagne; il y fallut sept cents ans. Dès le milieu du VIIIe siècle, le territoire
qui se trouvait au pouvoir des chrétiens s’étendait
déjà jusqu’au-delà de la Sierra Guadarrama.
La Castille est également
issue des Asturies. Ce ne fut à l’origine qu’un territoire
le long de la frontière, couvert de nombreux châteaux forts
(castels) destinés à la défense contre les Maures. En
940, un comte de Burgos, fondateur d’une dynastie, en fit un Etat
indépendant. Et la Castille devait dans l’avenir, grâce
à sa position centrale, exercer une grande force d’attraction et
devenir le noyau du royaume d’Espagne.
Durant des siècles, la lutte contre l’étranger
musulman fut la grande préoccupation des Espagnols. Le
développement politique, l’éveil d’un esprit
national, la naissance progressive de la nation, y sont intimement
liés. Elle se prolongea jusqu’à la fin du moyen
âge, aussi en reparlerons-nous dans d'autres pages.
Dans l'île de Bretagne
Une partie
d'entre eux, ainsi que des Angles, des Jutes et des Frisons, envahirent la
Grande-Bretagne au début du Moyen-Âge.
Selon la
tradition anglaise et ainsi que le rapporte Bède le
Vénérable, les premiers d'entre eux auraient été
dirigés par deux frères, Hengist et Horsa et seraient venus
à l'instigation du roi breton Vortigern, vers 450, afin de
défendre l'île de Bretagne contre les Pictes, une peuplade
indigène non romanisée. L'archéologie, quant à
elle, atteste la présence de mercenaires germaniques aux alentours de
Londres dès les premières années du Ve siècle.
Sans doute
dès le VIe siècle, Les Saxons constituèrent quatre
royaumes au sud de l'île : l'Essex, le Sussex, et le Wessex
(respectivement terres saxonnes de l'Est, du Sud et de l'Ouest) ainsi que le
Middlesex, plus éphémère puisqu'il fut annexé
à la terre des Angles, l'Angleterre (England). Dans l'ensemble, les Saxons montrèrent
également une résistance assez forte au Christianisme qui gagna
le royaume de Kent au début du VIIe siècle, sous l'influence du
missionnaire romain Paulinus.
Si
dès le VIIe siècle la présence de Bretwaldas, sortes de « sur-rois » est
attestée parmi les Anglo-Saxons de Grande-Bretagne C'est seulement au
Xe siècle qu'une dynastie saxonne, à savoir celle de Wessex,
s'imposa finalement sur l'île sous le règne d'Alfred le Grand et
pour une courte période jusqu'à l'invasion normande.
La langue
des Saxons donna naissance au Old English le Vieil Anglais, et se prolonge aujourd'hui encore dans le
dialecte Bas-Saxon.
Les Saxons
« continentaux » au Haut Moyen Âge
La
majorité des Saxons est cependant restée sur le continent,
fondant dès le VIIIe siècle le duché de Saxe. Ils ont longtemps
résisté à la vague de christianisation dans l'orbite du
royaume des Francs, mais leur conquête par Charlemagne à la
suite des campagnes annuelles qu'il mena de 772 à 804, imposa le
baptême et la conversion aux chefs ainsi qu'à leurs gens. Selon
la coutume carolingiennene, ils furent astreints au versement d'un tribut et,
comme les peuples slaves des Abodrites et des Wendes, durent bien souvent
fournir des troupes à leurs suzerains.
Les ducs
de Saxe régnèrent sur l'Allemagne au Xe siècle mais leur royaume fut démantelé
en 1180.
Au long du
Moyen Age on trouve le duché de Saxe qui devient l'électorat de
Saxe, bientôt scindé en un duché et un électorat.
Puis coexistent, avec l'électorat, plusieurs duchés de Saxe :
Saxe-Cobourg, Saxe-Gotha-Altenbourg, Saxe-Lauenbourg, Saxe-Meiningen,
Saxe-Weimar.
Le
territoire connu sous le nom de royaume de Saxe de 1806 à 1918, et qui
se situe au sud-est de l'Allemagne, doit son nom à l'acquisition du
duché de Saxe par le margrave de Meissen en 1423 et se trouve en fait
au delà des terres saxonnes.
Les Saxons de Roumanie
Des colons saxons ont
émigré au XIIIe siècle en Transylvanie où ils constituaient une
communauté d'environ 250.000 âmes au début du XXe
siècle.
Trois Länder de l'Allemagne fédérale d'aujourd'hui doivent
leur nom aux Saxons.
Les
rivalités, l'ambition, les mesquineries qui assombrissent l'histoire
de l'Europe, au moyen âge, ne tardèrent pas à
pénétrer également dans le petit royaume chrétien
de Jérusalem. L'idéal religieux auquel il devait son origine
n'était pas éteint, sans doute, et se manifestait même de
bien des manières, mais les intrigues de famille, l'orgueil, la
cupidité jouaient aussi leur rôle. Peu à peu, l'opinion
s'était installée au sein de la chevalerie qu'il était honteux pour un chevalier de n'avoir pas fait un voyage cri
Terre sainte et, de leur côté, les
chevaliers qui séjournaient dans le royaume de Jérusalem pour
un temps prolongé en tiraient vanité, à l'égard
de ceux qui ne faisaient que le visiter. La cupidité des marchands
italiens exerçait aussi une influence démoralisante. Enfin, Constantinople - non sans raison -
réclamait la suzeraineté sur le
royaume de Jérusalem, et la
principauté d'Antioche était plus menacée par l'ambition
byzantine que par les musulmans. Mais, surtout, les croisés
s'étaient crus trop vite arrivés au terme de leur effort.
Quelques-uns seulement avaient conseillé la conquête de la
Mésopotamie, faisant preuve en cela, non d'une fantaisie
débridée, mais d'un sens politique avisé. On ne les
avait pas écoutés et pourtant il est bien évident que, pour n'avoir pas assuré sa domination sur les califes
de Bagdad et du Caire, le royaume de Jérusalem était
voué à une rapide disparition. Mais
les rivalités qui divisaient les musulmans rassuraient les
chrétiens. Les Fatimides, qui régnaient en Egypte, étaient hostiles au
calife de Bagdad, qui s'était laissé dépouiller de son
autorité par différents émirs qui, dès lors,
s'étaient dressés les uns contre les autres. Mais
l'énergique Atabeg Imadeddlin Zengi, de Mossoul, vainquit ces émirs les uns après les
autres et, dès 1137, se tourna contre les chrétiens. A la fin de l'année 1144, Edesse tomba, Edesse qui couvrait la
frontière orientale du royaume chrétien. Dès lors, la
chute de Jérusalem rie fut plus qu'une question de temps.
Comme des appels au secours
pressants parvenaient en Europe, le pape Eugène
III mit tout son zèle à organiser
une nouvelle Croisade. Il encouragea le roi de France, Louis VII, à en prendre la
tête. Celui-ci accepta ce rôle d'autant plus volontiers qu'il
espérait ainsi expier un crime dont le souvenir le tourmentait:
l'incendie d'une église dans laquelle un certain nombre de personnes
avaient cherché refuge. Puis le pape chargea Bernard de Clairvaux de
prêcher la Croisade. Son succès ne faisait aucun doute. Il
était respecté partout comme un prophète et un
apôtre, et on lui attribuait un miracle. De lourdes
responsabilités pesaient déjà sur ses épaules;
pourtant, il n'hésita pas à assumer la mission qui lui avait
été confiée. Il est vrai qu'il avait pour Eugène
III, ancien moine de l'abbaye de Clairvaux, et l'un de ses anciens disciples,
un attachement particulier. Il avait reproché aux cardinaux d'avoir
placé sur le trône pontifical ce moine timide et conciliant,
mais il le soutenait de tout son pouvoir. Il mit donc au service de la
Croisade toutes les forces de sa riche personnalité et tout le feu de
sa parole. Son succès fut incroyable. Le
peuple et la noblesse accouraient à lui par milliers. Lorsque, à Vézelay, en Bourgogne, il parla en plein air devant une
assemblée immense, à laquelle s'était mêlé
le roi Louis VII, les assistants lui répondirent par le cri: « Des croix, des croix, qu'on nous donne des croix ! » Dans une conversation personnelle qu'il eut avec
Bernard, l'empereur Conrad refusa d'abord de se croiser, prétextant que
l'opposition des Welf exigeait sa présence dans le royaume. Le pape,
d'ailleurs, désirait le retenir en Europe, à cause de la
perpétuelle menace que les Normands faisaient peser sur l'Italie. Mais
lorsque, quelque temps plus tard, faisant une tournée dans l'Allemagne
occidentale et méridionale, Bernard rencontra l'empereur à
Spire, il enleva sa décision. Pendant la messe, il se tourna
brusquement vers Conrad, lui adressant personnellement un discours
enflammé, tandis qu'il le regardait dans les yeux. L'empereur, avec
larmes, se déclara prêt à se croiser. C'est à la fin de mai 1147 qu'il partit de
Ratisbonne. La plus haute noblesse d'Allemagne l'accompagnait, dont son neveu
Frédéric Barberousse, Henri Welf de Bavière, Henri Babenberg et un grand nombre d'évêques, parmi lesquels le
fameux chroniqueur Othon de Freising. Suivant le Danube - une partie d'entre elle descendant le
fleuve en bateau - l'armée, à laquelle s'étaient joints
des Tchèques et des Hongrois, atteignit les Balkans. Les
Français les suivirent de près par le même chemin. Mais,
à Constantinople, les difficultés commencèrent.
Négligeant l'avis de l'empereur Manuel, les Allemands
s'obstinèrent à cingler vers l'Asie-Mineure par le plus court
chemin; seul, Othon de Freising, à la tête d'une petite troupe,
se décida à suivre la côte. Mais au bout de quelques
jours, les Seldjoucides attaquèrent avec
une telle violence que l'armée allemande dut se retirer; sa retraite ne fut rien moins qu'un combat défensif. A
Nicée, elle rejoignit l'armée française. Diminuée
d'une grande partie de son effectif, tombé sous les coups des Turcs, elle se
dirigea sur Antioche par mer. Freising, lui, débarqua ses forces plus
au sud. La vanité et la désunion des chefs de la Croisade
vinrent tout entraver. Au lieu de secourir les points les plus
menacés, Alep et Edesse, ils allèrent mettre le siège autour de Damas,
puis, bridés par un accord secret conclu entre l'émir de cette
ville et le roi de Jérusalem, ils renoncèrent sans autre
à cette entreprise. Les deux rois d'Occident engagèrent alors leurs armées dans des
aventures inutiles. Sur le chemin du retour, Louis
VII partit pour la Sicile, accompagné d'Henri Welf, oncle d'Henri le
Lion; il y conclut avec Roger II un pacte d'assistance contre les
Hohenstaufen. Pendant ce temps, Antioche et
Damas tombèrent aux mains de Nureddin, fils et successeur de Zengi. Le
sort de Jérusalem se trouva fixé.
L'échec de la Croisade,
entreprise avec tant d'enthousiasme, fit à l'abbé de Clairvaux
une peine affreuse. Dans une lettre, il écrivit: « Malheur aux chefs responsables. Ils n'ont rien su faire de
bon en Terre sainte. Dès que les premières hostilités
ont pris fin, ils se sont hâtés de regagner leurs seigneuries,
où ils se livrent à toutes sortes de désordres...
Impuissants pour le bien, ils ne sont que trop puissants pour faire le mal ». La véritable cause de l'échec de la
Croisade, c'est que l'enthousiasme ardent qui animait le pape Eugène
et Bernard de Clairvaux manquait au coeur des croisés. Par sa
prédication, Bernard, sans doute, avait allumé un feu qui
s'était éteint trop vite.
A la même époque
se produisirent d'autres petites entreprises guerrières que l'on peut,
jusqu'à un certain point, considérer comme des Croisades, car
un de leurs buts était bien l'expansion du christianisme. Une armée,
composée d'Allemands, d'Anglais et de Normands, se rendit dans la
péninsule Ibérique, en 1147, appelée par Alphonse de Portugal qui lui
demandait de chasser les Maures de Lisbonne; elle y réussit. Albert
l'Ours et Henri le Lion organisèrent une campagne contre les Wendes
des bords de la Baltique, au cours de laquelle ils se mesurèrent aussi
avec les Danois, dans des combats navals. Un détachement de
l'armée marcha contre les Abodrites, un autre contre les
Poméraniens. Mais la guerre se termina par de vagues compromis.
Le christianisme et la
germanisation des peuples slaves de la frontière n'en progressa pas
moins rapidement à partir de cette époque. Henri
le Lion, sans aucun égard pour les droits
de l'étranger, transforma son duché en un Etat important qui
exerça sa force au détriment des Slaves. Il
pénétra dans le pays des Abodrites et en Poméranie et
encouragea la fondation de nouveaux évêchés à
Oldenbourg, Ratzbourg et Mecklembourg. Quant à l'autre grand prince du
Nord, Albert l'Ours,
il s'assura, par des voies pacifiques, la possession du Brandebourg,
compensation à la perte du duché de Saxe. Primislav, un prince de la race
des Heveller, qui possédait le bassin de la Havel dont Brandebourg
était le centre, le choisit pour héritier. A partir de ce
moment (1150), il s'intitula souvent margrave de Brandebourg. Dans ces
territoires slaves nouvellement acquis et qui étaient très peu
peuplés, des paysans allemands furent établis
systématiquement. Ils apportèrent avec eux les coutumes et le
droit allemands. Le roi Conrad III ne prit guère part à cette expansion très
importante de l'Allemagne vers l'est. Il mourut en 1152, sans avoir pu mettre
à exécution un projet qu'il avait arrêté, d'accord
avec le pape Eugène; il comptait se rendre à Rome pour y
recevoir la couronne d'empereur et mettre un terme aux usurpations de Roger II. On ne peut refuser au
premier des Hohenstaufen de la grandeur et de hautes capacités. Ses
contemporains déjà en jugèrent ainsi.
L'été de l'année suivante, le pape Eugène mourut
à son tour. Les rébellions des Romains l'avaient obligé
à passer hors de Rome la plus grande partie de son pontificat, mais il
ne s'était jamais courbé devant ses adversaires. Quelques
semaines après lui, son grand maître Bernard de Clairvaux mourut
aussi. Une grande foule se pressa à ses funérailles.
Avec lui disparut
l'une des grandes personnalités du moyen âge. Son biographe, Vacandard, a dit de lui: « La joie sur son visage, la modestie dans son maintien, la
prudence dans ses paroles, la sobriété dans ses actions. » Il fréquentait les cours des princes, apaisait
les pires conflits, dirigeait le pape par ses conseils et, de la sorte, toute
la chrétienté. Tout cela l'obligeait à une
activité extérieure considérable, qui, souvent,
l'effrayait lui-même, mais qui n'était que la manifestation
visible de sa profonde vie intérieure. Il resta, dans toute
l'acception du mot, un véritable moine, qui châtiait son corps
et dont l'âme était en communion constante avec Dieu.
Après s'être acquitté des missions nombreuses dont il
était chargé, il regagnait immédiatement son couvent.
Aucun succès ne l'amena à perdre son humilité, si bien
qu'il a pu dire sur son lit de mort: « je
me suis toujours appuyé sur le jugement des autres, plus que sur le
mien propre. » Malgré une
ascèse austère, il ne perdit jamais son individualité,
ni les dons qu'il devait à son caractère. Sa parole et son
tempérament sont purement français, et, sous plus d'un rapport,
il est l'enfant de son époque. Malgré ses dispositions à
la douceur, il pensait que l'usage des armes était nécessaire
contre les hérétiques obstinés. En dépit de
fréquentes pénitences, il ne put jamais dompter sa nature
emportée. Il pouvait prononcer des paroles d'une dureté
inouïe, discuter avec violence, lâcher la bride à son
indignation. Et pourtant, il resta toujours sensible, distingué; il ne
connaissait pas la haine et se laissait conduire par l'amour.
The Women of Weinsberg
Jacob and Wilhelm Grimm
When King Conrad III defeated the
Duke of Welf (in the year 1140) and placed Weinsberg under siege, the wives
of the besieged castle negotiated a surrender which granted them the right to
leave with whatever they could carry on their shoulders. The king allowed
them that much. Leaving everything else aside, each woman took her own
husband on her shoulders and carried him out. When the king's people saw what
was happening, many of them said that that was not what had been meant and
wanted to put a stop to it. But the king laughed and accepted the women's
clever trick. "A king," he said, "should always stand by his
word."